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JOURNEE INTERNATIONALE DES DROITS DES FEMMES - Evolution de la place des femmes en pharmacie

Art et culture Article publié le 12 mars 2024 , mis à jour le 12 mars 2024

HISTOIRE DE L'EVOLUTION DE LA PLACE DES FEMMES EN PHARMACIE

Le 8 mars 2024, a eu lieu la Journée Internationale des droits des femmes, journée d’action, de sensibilisation et de mobilisation dédiée à la lutte pour les droits des femmes. Si les Nations Unies ont officialisé la journée du 8 mars en 1977, cette journée tire ses origines des manifestations de femmes réclamant des meilleures conditions de travail et le droit de vote, au début du XXe siècle, en Europe et aux États-Unis. Historiquement, de nombreuses femmes ont été des soignantes, guérisseuses, apothicaires, pharmaciennes mais elles ont dû se battre pour obtenir le droit d’étudier et d’appliquer légalement leur savoir en sciences pharmaceutiques.

La Journée Internationale des droits des femmes est donc l’occasion de revenir sur l’évolution de la place des femmes en pharmacie à partir de portraits de femmes caractéristiques des différentes époques

ANTIQUITE - Peseshet (2700 av. J-C)

Peseshet est reconnue comme étant la plus ancienne femme médecin identifiée à ce jour. Elle a exercé en Egypte vers 2700 av. J-C, au cours de la IVe dynastie. Dans la civilisation égyptienne antique, les femmes pouvaient étudier et enseigner dans les écoles de médecine, au même titre que les hommes. La pharmacie n’étant pas encore différenciée de la médecine, elles pouvaient à la fois diagnostiquer la maladie, préparer et administrer le traitement adéquat. La documentation historique révèle qu’il existait un corps professionnel officiel de femmes médecins dont Peseshet était la directrice : des inscriptions trouvées sur une stèle funéraire indiquent qu’elle occupait le poste de « directrice des femmes médecins », de « directrice de Ka-servantes » (prêtresses) et qu’elle délivrait les diplômes aux sage-femmes à l’école de médecine. Les historiens supposent donc qu’il existait d’autres femmes médecins et que la pratique de la médecine/pharmacie par les femmes était acceptée dans la population

MOYEN-AGE - Hildegarde de Bingen (1098-1179)

Alors qu’il existait très peu de régulations concernant la formation et l’exercice des soignants pendant la première moitié du Moyen-Age, le XIe siècle est caractérisé par la mise en place de régulations de plus en plus strictes, cherchant à exclure les femmes de la pratique médicale et pharmaceutique. Toutefois, de nombreuses femmes ont continué d’exercer leur fonction de soignante, notamment auprès des personnes les plus pauvres, puisque les universités ne formaient pas assez de médecins pour soigner toute la population. Dans les ordres religieux, les femmes avaient un rôle plus reconnu, notamment en tenant des établissements de santé. Hildegarde de Bingen était une religieuse bénédictine très cultivée, auteur de Physica, traité dans lequel elle a décrit des animaux et des plantes pouvant être utilisés pour préparer des remèdes. Ce traité est l’une des premières pharmacopées de l’époque médiévale. Les découvertes d’Hildegarde de Bingen, présentées dans ce traité, se sont révélées efficaces, comme l’effet des fleurs et des feuilles de l’achillée millefeuille dans la cicatrisation des plaies.

Pour cette époque, il convient également de mentionner le rôle de femmes qui ne sont pas directement des soignantes. Par exemple, Anne de Danemark possédait une grande collection de recettes médicinales au XVIe siècle, qu’elle échangeait avec d’autres femmes de la noblesse dans le cadre de l’augmentation des échanges épistolaires. Elle a même favorisé l’innovation dans la réalisation de remèdes en commandant des améliorations de la verrerie utilisée pour la distillation.

EPOQUE MODERNE - Michée Chauderon (1602-1652)

Les femmes qui avaient difficilement accès à des formations d’apothicairerie, pendant le Moyen-Age, ont vu leurs droits se réduire encore au cours de l’époque moderne. Elles ne pouvaient pas devenir apothicaire, elles pouvaient seulement continuer l’activité de leur mari apothicaire après le décès de celui-ci à condition d’être accompagnées par un « maître-varlet, docte et bien après ». Toutefois, comme les apothicaires étaient peu nombreux dans les campagnes, on faisait appel à des femmes guérisseuses, persécutées pour leur « pouvoir de guérison » accusé de venir du diable. Michée Chauderon était une femme veuve, isolée et guérisseuse, la dernière sorcière à avoir été exécutée en 1652. Bien que la « chasse aux sorcières » ait débuté à la fin du Moyen-Age, elle a atteint son apogée durant l’époque moderne, principalement en Allemagne, en Angleterre, en France et au Danemark. Michée Chauderon proposait de soulager les gens avec une soupe blanche qu’elle avait fabriquée et qui était reconnue pour ses vertus thérapeutiques. Préparée à partir de gros sel, de farine, de pain et de fèves, cette soupe offrait des éléments extrêmement nutritifs. La guérisseuse a été accusée de pouvoir intercéder contre le mal qui afflige les vivants et a été exécutée pour "crime de sorcellerie" à Genève, à l’issue d’un mois de procès.

EPOQUE CONTEMPORAINE - Isabelle Adenot (1957-)

Les femmes ont pleinement intégré le monde pharmaceutique à l’époque contemporaine, grâce à une éducation qui devient accessible. Après de nombreuses luttes, le nombre d’étudiantes et de pharmaciennes diplômées a augmenté, jusqu’à dépasser le nombre d’hommes dès la moitié du XXe siècle. Ainsi, en France, le domaine pharmaceutique est devenu l’un des premiers domaines scientifiques à s’être ouvert aux femmes. Elles ont progressivement accédé à des postes plus importants, à l’image d’Isabelle Adenot, qui après être devenue titulaire d’officine en 1984, a été la première femme à être élue présidente du Conseil central A, représentant les titulaires d’officines à l’Ordre National de Pharmacie, en 2003. Ensuite, elle est devenue la première femme élue présidente du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens en 2009.

LA FIN DES INEGALITES ?

Malgré la forte féminisation de la profession, des inégalités persistent. D’après le rapport « Démographie des pharmaciens – Panorama au 1er janvier 2020 » publié par l’Ordre National des Pharmaciens en 2020, les officines tenues par des femmes sont en moyenne plus petites, réalisent un chiffre d’affaires plus faible et emploient moins de personnes. Bien que les femmes soient majoritaires chez les pharmaciens répartiteurs, seules 36% d’entre elles sont pharmaciennes responsables.

L’histoire de la profession est, quant à elle, encore fortement marquée par une invisibilisation des femmes. Le site internet de la Société d’Histoire de la Pharmacie présente 275 biographies d’hommes ayant contribué à l’avancée des connaissances pharmaceutiques, contre seulement 2 de femmes. Cette situation peut en partie s’expliquer par un phénomène sociologique : « l’effet Mathilda ». Décrit en 1933 par l’historienne Margaret W. Rossiter, il désigne une sous-évaluation systémique de la contribution des femmes à la recherche scientifique, notamment pharmaceutique. Margaret Rossiter donne l’exemple de l'Italienne Trotula de Salerne au XIe siècle. Cette femme médecin et chirurgienne a écrit plusieurs ouvrages traitant de gynécologie. Pourtant la question de l'auteur de ces ouvrages a longtemps été sujet à controverses au point qu’ils furent même attribués à des hommes : l'idée qu'une femme puisse exercer une fonction aussi prestigieuse et enseigner à l'école de médecine paraissait impossible.

Bibliographie

Société d'Histoire de la Pharmacie, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1930, 1978.

Margaret W. ROSSITER, « The Matthew Matilda Effect in Science », Social Studies of Science, , pp. 325-341.

Clara VANDERCRUYSSE, Place des femmes dans le monde pharmaceutique : historique et état des lieux, Mémoire, UNICAEN Santé, Université de Caen-Normandie, 2022.